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Images de la vieillesse : contradictoires et pourtant omniprésentes

Une contribution de Anne-Sophie Catherine Keller

Science et recherche sur les générations

2. juillet 2025

Les personnes âgées seraient têtues et les jeunes paresseux? Dans cette interview, le professeur Klaus Rothermund explique pourquoi les préjugés liés à l’âge sont tenaces, même s’ils sont souvent contradictoires. Il aborde également le rôle que jouent les attentes de la société quant à l’utilité, ainsi que les différences culturelles dans ce contexte, et montre pourquoi nous nous faisons en fin de compte du tort à nous-mêmes avec de telles représentations.

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Après le prononcé de l’arrêt du 9 avril 2024 devant la CEDH. Photo © Miriam Künzli / Greenpeace

Dans notre société, les représentations liées à l’âge sont multiples, aussi bien à l’égard des personnes âgées que des jeunes. Mais pourquoi ces stéréotypes sont-ils si tenaces?
Nous construisons généralement nos idées de la vieillesse bien avant de devenir nous-mêmes âgés, alors que rien ne nous pousse encore à remettre en question les représentations négatives qui y sont associées. Plus tard, même les personnes âgées ont tendance à se distancier du groupe des «vieux». Elles déclarent par exemple: «Je n’en suis pas encore là, on ne peut pas dire que je suis vraiment vieux.» Mais cette stratégie se retourne souvent contre elles plus tard si elles ont intégré ces images au point de les appliquer à leur propre vie. Ces représentations véhiculent aussi des attentes et des exigences sociales. On suppose par exemple que les jeunes sont forcément rebelles – ce qui justifie qu’on leur demande d’être plus respectueux.
Les préjugés liés à l’âge sont fréquemment contradictoires: les personnes âgées sont perçues à la fois comme strictes et rigides, mais aussi comme chaleureuses et sereines. Pourquoi?
Tout dépend du contexte. Ces représentations s’appliquent à des situations différentes. À la caisse du supermarché, on évite de se placer derrière une personne âgée, alors qu’à la place de jeux, la même personne peut paraître attentionnée et chaleureuse. Ces représentations ne sont pas directement en contradiction, car elles coexistent.
Pourquoi les représentations sociales de la vieillesse sont-elles si difficiles à déconstruire?
Les stéréotypes mettent du temps à évoluer. En période d’incertitude, nous avons tendance à nous raccrocher à des images familières. Cela dit, certaines tendances se dessinent, comme la promotion d’une «vieillesse active». Cette évolution est aussi portée par des logiques politiques: il s’agit d’encourager les seniors à prolonger leur activité professionnelle afin de soulager les systèmes des assurances sociales.

En bref:

  • Intégration précoce: les représentations liées à l’âge sont souvent intégrées dès le plus jeune âge et appliquées plus tard à son propre vieillissement. La perception que nous avons des autres groupes d’âge influence durablement l’image que nous construisons de nous-mêmes.
  • Les représentations liées à l’âge sont «utiles»: les images liées à l’âge ne naissent pas de manière arbitraire – elles reflètent les attentes sociales quant à la façon dont les individus devraient (ou ne devraient pas) se comporter à un âge dit «jeune» ou «avancé». Elles contribuent à structurer les rôles sociaux et servent fréquemment de repères normatifs.
  • Contradictoires, mais influentes: les représentations liées à l’âge peuvent être à la fois négatives et positives – par exemple, les personnes âgées sont perçues à la fois comme têtues et chaleureuses. C’est précisément cette ambivalence qui les rend si tenaces: elles varient selon le contexte, s’adaptent facilement et sont de ce fait particulièrement résistantes au changement.
  • Les médias jouent le rôle de catalyseur: ils présentent souvent des images unilatérales ou extrêmes, ce qui renforce les stéréotypes et contribue à l’absence d’une représentation fidèle et diversifiée du vieillissement.
Qui tire avantage de ces stéréotypes liés à l’âge?
À vrai dire, personne n’en profite vraiment. Les personnes âgées elles-mêmes participent parfois à renforcer ces représentations, en les utilisant comme justification pour se délester de certaines responsabilités ou se préserver du surmenage. En même temps, nous avons besoin de modèles socialement acceptés du «bien vieillir», car ils offrent des repères.
Les limites d’âge pour partir à la retraite, voter ou bénéficier de certaines prestations médicales sont fixées par la loi – mais qui décide de ce qui est considéré comme jeune ou vieux?
Certaines limites d’âge sont bel et bien définies par la loi et institutionnalisées. D’autres, en revanche, relèvent de constructions sociales. Un jour, je suis allé en boîte de nuit et le videur a murmuré dans mon dos: «Maintenant, ils viennent même casser leur pipe ici!»
Incroyable! Peut-être auriez-vous eu plus de chance en Espagne? D’après plusieurs études, on y est considéré comme vieux qu’à partir de 75 ans, alors qu’en Arabie saoudite, on l’est déjà à 55 ans. Comment expliquer de telles disparités?
Ces limites dépendent aussi de facteurs culturels: aux États-Unis, par exemple, l’identité est définie par la carrière professionnelle, alors que dans d’autres cultures, elle repose davantage sur le rôle familial. Dans le monde du travail, on est souvent perçu comme «vieux» bien plus tôt que dans le cadre familial – ce qui contribue à ces perceptions divergentes. Par ailleurs, plus on avance en âge, plus on repousse soi-même la limite de ce qu’on considère comme «vieux». L’âge de la retraite reste toutefois un repère important pour déterminer quand commence la vieillesse.
Mais l’âge de la retraite varie aussi selon les pays – en Allemagne, l’âge de la retraite a un temps été fixé à 70 ans, avant d’être abaissé à 63. En Suisse, il a récemment été relevé pour les femmes. Que révèlent ces évolutions sur la fluctuation des limites d’âge?
Elles montrent que ces limites sont étroitement liées aux enjeux sociaux. Lorsqu’il y a un fort taux de chômage chez les jeunes, on tend à abaisser l’âge de la retraite pour faire de la place à la génération montante. Dans le contexte démographique actuel, on assiste à une évolution inverse. Il s’agit donc de trouver un équilibre.
Pourquoi l’âge chronologique conserve-t-il une telle importance, alors même que les différences biologiques ou psychologiques augmentent avec l’âge?
Parce que l’âge biologique peut être influencé par le mode de vie. Certes, personne ne souhaite encourager les gens à boire ou à fumer pour bénéficier d’une retraite anticipée. Mais tôt ou tard, ces comportements néfastes ont des conséquences: les expertises médicales pour justifier des départs anticipés à la retraite sont déjà une réalité.
Pourquoi l’âge adulte moyen (30 à 55 ans) est-il rarement thématisé dans les représentations liées à l’âge?
Probablement parce que ces représentations se concentrent sur les phases de la vie associées à des transitions marquantes qui entraînent une modification du sentiment d’appartenance, des rôles sociaux, des capacités ou des centres d’intérêt. Or, l’âge adulte moyen se caractérise souvent par une certaine stabilité. Cela dit, des normes et attentes s’appliquent aussi durant cette période, notamment en ce qui concerne la planification familiale ou la carrière.
Comment les stéréotypes liés à l’âge intériorisés influencent-ils le développement personnel?
Ces représentations influencent non seulement l’image que nous avons de nous-mêmes, mais aussi notre comportement. La façon dont nous percevons la vieillesse dans notre jeunesse détermine la manière dont nous nous percevrons lorsque nous serons vieux. Ces ressentis agissent donc comme des prophéties autoréalisatrices. Quand on est jeune et qu’on se réveille avec une gueule de bois, c’est la preuve que la fête était géniale. Quand on est plus âgé, on se dit: «Ce n’est plus pour moi, je ne supporte plus tout ça.» Et on évite les excès.

Et les images de jeunesse ?

Les représentations liées à l’âge ne concernent pas seulement les personnes âgées, mais aussi les enfants et les adolescents.

Les représentations de la jeunesse influencent la manière dont nous percevons les jeunes et dont ils se voient eux-mêmes. Elles aussi sont souvent contradictoires et peuvent avoir une connotation aussi bien positive que négative. Comme pour les stéréotypes liés à l’âge, ces représentations conduisent à l’exclusion et aux préjugés. Une approche consciente et une réflexion critique sur toutes les représentations liées à l’âge – qu’elles s’appliquent aux jeunes, aux personnes âgées ou à la génération entre les deux – sont essentielles pour favoriser la compréhension mutuelle et un dialogue respectueux.

La discrimination liée à l'âge

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Comment casser ce cycle d’intériorisation?
Les stéréotypes liés à l’âge ne sont pas une fatalité. On peut les adapter sur la base de ses propres expériences et d’une réflexion critique sur ses propres représentations: un regard à travers le monde permet de se rendre compte que la vieillesse et le vieillissement sont bien plus différenciés que ne le suggèrent les stéréotypes. Il ne s’agit pas de nier la vieillesse, mais de développer une vision équilibrée, de ne pas nier les vulnérabilités, mais de reconnaître également les opportunités et les potentiels qui y sont associés.
Dans quelle mesure les médias influencent-ils notre perception de la vieillesse?
Les médias se focalisent souvent sur les extrêmes, ce qui contribue à renforcer les stéréotypes. Les situations de vulnérabilité sont largement surreprésentées: pénurie de personnel soignant, démence, isolement des personnes âgées… Ces thématiques sont fortement médiatisées, car elles captent l’attention du public. À l’inverse, les Super-Agers – ces aînés qui défient les effets du vieillissement – bénéficient eux aussi d’une visibilité disproportionnée. La diversité des réalités liées à l’âge est donc rarement reflétée de manière fidèle et nuancée.
À propos de nuances: pourquoi fait-on une distinction entre le «troisième âge» et le «quatrième âge»?
Le psychologue Peter Laslett a inventé le concept de troisième âge il y a une cinquantaine d’années. Il s’agissait d’une conquête et d’un progrès par rapport aux représentations antérieures selon lesquelles la vieillesse marquait la fin de la vie. Peter Laslett souhaitait mettre en avant la vieillesse active, celle où l’on dispose encore de suffisamment de ressources pour s’engager.
Quels intérêts se cachent derrière la promotion de la vieillesse active?
Il est d’une part évident que la politique et l’économie cherchent à en tirer profit. Il existe d’autre part les attentes de la société quant à l’utilité. Mais les personnes âgées bénéficient également de l’image d’une vieillesse active, car elle est perçue comme désirable et renforce le sentiment d’appartenance. D’un point de vue scientifique, il existe un fondement biologique qui justifie la distinction entre le troisième et le quatrième âge: nous avons en partie conquis cette phase de vieillesse active grâce à une bonne prise en charge médicale. Toutefois, à un moment donné, des déficiences physiques ou cognitives surviennent, menant à un état de dépendance. Cela ne peut être évité ou repoussé indéfiniment. Cette distinction entre les âges avancés résulte donc d’un jeu complexe de facteurs biologiques, sociaux et individuels – et ne relève pas uniquement d’une construction sociale.

«Même les représentations positives liées à l’âge peuvent avoir un effet discriminatoire.»

Comment la gérontopsychologie peut-elle contribuer à établir une image plus nuancée de la vieillesse?
En menant des études, en publiant des articles dans les médias ou en organisant des conférences, la gérontopsychologie sensibilise le public à la complexité et à la richesse de la vieillesse. Elle s’emploie également à dénoncer l’âgisme, à l’image des recherches menées depuis des décennies dans le champ des études de genre. En Allemagne, par exemple, une commission mandatée par le gouvernement fédéral publie régulièrement un rapport sur la situation des personnes âgées. Les responsables politiques sont ensuite tenus de prendre position et d’intégrer ces constats dans leurs programmes. Pour les chercheurs, cela implique de sortir de leur tour d’ivoire et de participer activement au débat public. Cet engagement peut influer sur l’opinion publique et contribuer à faire évoluer les mentalités. Néanmoins, ce changement est lent: les représentations liées à l’âge sont profondément ancrées, y compris chez des personnes pourtant sensibilisées à d’autres formes de discrimination. Beaucoup continuent de percevoir les personnes âgées comme un frein au progrès.
D’un point de vue statistique, les attitudes sont très diversifiées, par exemple en ce qui concerne l’égalité ou la diversité.
Bien sûr. Mais est-ce un argument suffisant pour dire que les anciens doivent se retirer de la vie active? Considérer les personnes âgées comme une masse homogène est très simpliste.
L’engagement des «Aînées pour le climat» ou des «Grands-mères contre l’extrême droite» est souvent tourné en dérision, voire dévalorisé. Quel rôle joue le genre dans la perception de la vieillesse – en particulier lorsqu’il s’agit de participation politique ou d’engagement public?
Le rôle du genre dans la vieillesse a été mis en lumière dès les années 1970 par la sociologue américaine Susan Sontag. Dans un article très remarqué, elle dénonçait le double standard à l’égard du vieillissement appliqué aux femmes et aux hommes âgés. Selon elle, pour les femmes, l’évaluation passe principalement par l’attractivité: lorsqu’elles ne sont plus perçues comme attirantes, elles deviennent invisibles. Chez les hommes, en revanche, ce sont le pouvoir et l’influence qui font la différence.
C’est donc ici que les représentations liées au genre et à l’âge se rejoignent.
Exactement. La représentation de la gentille grand-mère au foyer est considérée comme sympathique. Mais cette image positive de la vieillesse a ici un effet restrictif. Et si l’on s’écarte de la norme, cela est plus sévèrement sanctionné chez les femmes que chez les hommes. Mais c’est le cas de manière générale pour les femmes: si elles aspirent à l’influence et au pouvoir, elles sont regardées d’un œil critique. Chez les femmes plus âgées, c’est encore plus marqué – notamment parce qu’elles se conforment encore elles-mêmes aux anciens modèles de rôles.
La bonne nouvelle?
À mon avis, ce n’est qu’une question de temps. Des engagements comme celui des Aînées pour le climat contribuent activement à propager de nouveaux modèles de rôles. De plus, ils sont également respectés par de nombreuses jeunes générations. Mais la double pénalité de la représentation liée à l’âge et au genre demeure. Il est donc d’autant plus important de remettre activement en question les attributions stéréotypées.

Weiterführende Informationen

Prof. Dr. Klaus Rothermund

Le professeur Klaus Rothermund occupe depuis 2004 une chaire de psychologie générale à l’université Friedrich-Schiller d’Iéna. Il dirige entre autres des projets de recherche sur l’influence des représentations liées à l’âge sur le développement et donne également des conférences sur ce thème.

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