Structures d’accueil de jour partagées pour enfants et personnes âgées
Une contribution de Simone Schmid
Politique intergénérationnelle et dialogue intergénérationnel , Participation, intégration et inclusion , Prise en charge intergénérationnelle
26. juin 2023
Les structures d’accueil partagées pour enfants et personnes âgées sont une solution innovante pour répondre à l’évolution démographique. Cette forme de structure de jour offre un lieu qui permet d’accueillir à la fois les enfants et les personnes âgées. Les échanges tout au long de la journée sont bénéfiques aux deux groupes d’âges, alors que dans la situation actuelle, les enfants et les personnes âgées sont pris en charge séparément. Cette structure est aussi avantageuse d’un point de vue économique, car une seule institution suffit pour les deux groupes. Dès lors, pourquoi ne voit-on pas un paysage florissant de structures de jour partagées en Suisse?
À l’inverse, Tandem, l’unique centre d’accueil de jour partagé de toute la Suisse, a même dû fermer récemment. Pourtant, ce centre pilote, ouvert il y a tout juste dix ans dans le canton de Zurich, était porteur de grands espoirs. Cette fermeture nous donne l’occasion d’examiner les raisons de l’échec des structures accueil intergénérationnelles et d’envisager des solutions possibles.
Une nouvelle approche pour les problèmes rencontrés dans une société vieillissante: les structures d’accueil de jour intergénérationnelles
Un point d’accueil de jour intergénérationnel associe au sein d’un même établissement une crèche et un lieu d’accueil de jour pour seniors: c’est une manière institutionnelle de favoriser les rencontres entre générations dans des situations du quotidien. Dans nos sociétés, l’isolement social est très répandu, notamment pour les personnes les plus âgées, et la vie quotidienne n’offre que très peu d’occasions de rencontres. Pourtant, ces rencontres permettent à tous, enfants comme adultes, de mieux connaître le grand âge et de voir que la vieillesse est un état tout à fait naturel. Les enfants peuvent ainsi approfondir leur compréhension de ce qu’est le vieillissement et apprendre à distinguer entre les stades de la vieillesse. La plupart des enfants n’ont qu’une vision très limitée des personnes âgées: ils connaissent surtout leurs grands-parents actifs, et l’image qu’ils se font de cet âge de la vie est déterminée par leur vécu à eux. Ils ne peuvent donc pas imaginer quels sont les capacités, les intérêts et les besoins (pour les personnes nécessitant des soins) des personnes d’un âge avancé. Réciproquement, les rencontres intergénérationnelles enrichissent la qualité de vie des personnes âgées, lesquelles peuvent transmettre leur savoir et leurs expériences aux générations suivantes, mais aussi redécouvrir, voire développer, des capacités qu’elles ont oubliées faute d’avoir cessé de les utiliser. Par leur émerveillement, leur joie et leur candeur, les enfants incitent les personnes âgées à s’impliquer socialement et à transmettre ce qu’elles ont vécu dans leur jeunesse. Les rencontres intergénérationnelles apportent donc de nombreux avantages à tous les groupes d’âge – à condition d’être planifiées et accompagnées avec soin par les professionnels.
Cela étant dit, les usagers d’un point d’accueil intergénérationnel ne sont pas les seuls à en retirer des avantages: cette association apporte également des bénéfices en termes de gestion, à la fois pour les crèches et pour les centres de jour pour personnes âgées. Ainsi, un lieu d’accueil de jour partagé permet de réaliser des économies d’échelle et de produire des effets de synergie: par exemple, un seul service administratif suffit pour les deux groupes, ou bien certaines infrastructures et prestations peuvent être mises en commun pour les deux tranches d’âge (jardin, matériel de sport et de jeu, restauration, personnel, etc.). Ce type de fusion pourrait donc être bénéfique aux deux types de structures d’accueil.
Centre d’accueil de jour Tandem à Bülach
Le Centre d’accueil de jour Tandem à Bülach était un exemple de solution innovante de ce type. L’association qui gérait l’accueil de jour Tandem décrivait son centre d’accueil intergénérationnel comme une sorte de grande famille. Pionnière dans l’accueil des enfants et des seniors, l’association a fondé le premier centre d’accueil partagé de Suisse, où les personnes âgées et les enfants étaient pris en charge ensemble.
En 2016, ce centre de jour intergénérationnel a reçu le célèbre prix Coup de cœur de l’Association Alzheimer du canton de Zurich, car ce modèle est justement bénéfique aux personnes atteintes de démence. Pourtant, peu avant le dixième anniversaire de sa création, le centre a dû fermer, pour des raisons purement financières. Le tarif journalieratteignait en effet 120 à 140 francs, ce que nombre de personnes âgées ne pouvaient assumer, alors même que le modèle intergénérationnel leur convenait. «La prise en charge par les communes et la caisse d’assurance maladie n’était pas possible, car nous ne disposions pas de l’autorisation d’exploitation pour un centre d’accueil de jour pour seniors. Malheureusement, le canton de Zurich n’a pas encore de directives à ce sujet», explique Ruth Sarasin, ancienne présidente de l’association Tandem. Il est possible de créer un centre de jour pour personnes âgées dans le canton même sans autorisation d’exploitation, mais une autorisation d’exploitation du canton est indispensable pour que le canton participe aux frais d’un centre de jour; sinon, le canton ne prend pas en charge les frais, et le séjour doit être entièrement financé par l’hôte.
Comme Tandem ne bénéficiait d’aucun soutien financier de la part de la commune ou du canton, de nombreuses personnes intéressées n’ont pu profiter de l’offre. Institution innovante, Tandem n’entrait donc pas dans le schéma bénéficiant d’un financement public classique. Qui plus est, en presque 10 années d’existence de la structure, les autorités cantonales de Zurich ne sont pas parvenues à faire évoluer leurs conditions de manière à pouvoir accorder des autorisations d’exploitation pour des centres de jour pour personnes âgées – et encore moins pour le modèle innovant de centres de jour intergénérationnels, comme Tandem à Bülach.
De nombreuses maisons de retraite proposent désormais des places de jour en plus des places permanentes en soins de longue durée: elles ont donc de fait la structure d’accueil de jour pour personnes âgées. Comme ces points d’accueil font partie de la maison de retraite, ils ne nécessitent pas d’obtenir une autorisation supplémentaire. Dans le domaine intergénérationnel, les choses évoluent aussi positivement: de plus en plus de maisons de retraite s’associent à une crèche ou à un groupe de jeu à proximité pour mettre en place des systèmes de rencontres intergénérationnelles, ce qui permet de développer ce type de rencontres de manière au moins ponctuelle. Vous trouverez quelques exemples de ce type de coopération dans la liste des projets recensés par la plateforme Intergeneration. Cependant, à ce jour, dans toute la Suisse, il n’existe pas encore de centre de jour proposant une prise en charge commune des tout-petits et des personnes âgées.
Financement des centres de jour
Si, malgré ces multiples avantages, les centres de jour intergénérationnels n’existent pas en Suisse, c’est que les conditions générales n’y sont pas favorables. Il semble qu’il y ait à cela une raison évidente: pour réussir à mettre en place un centre de jour pour personnes âgées, même sans volet intergénérationnel, il faut surmonter une multitude d’obstacles. L’un des facteurs cruciaux est le financement. Aucune loi ne régit au niveau fédéral le financement des centres de jour pour personnes âgées. Chaque canton ou commune peut développer ses propres stratégies et lois de financement pour ces institutions; c’est pourquoi on observe aujourd’hui de grandes disparités entre les cantons. Certains cantons réglementent le financement des centres de jour pour personnes âgées et définissent donc les tarifs maximaux d’un séjour en centre de jour, c’est-à-dire le coût maximal d’un tel séjour. En revanche, d’autres cantons ne réglementent rien du tout; or les conditions financières sont un facteur déterminant pour pouvoir mettre en place un centre de jour pour personnes âgées. Sans contribution des pouvoirs publics, le prix du séjour est si élevé que seules quelques personnes très aisées peuvent profiter de ce type de services. La création de tels centres de jour fait donc face à d’importants obstacles, et les foyers de jour pour personnes âgées sont donc relativement rares à l’échelle de la Suisse comparés aux maisons de retraite. En 2021, le pays comptait environ 1530 maisons de retraite, contre quelque 520 structures d’accueil de jour et de nuit déclarées la même année. Pour donner à ces structures une dimension intergénérationnelle, la difficulté apparaît encore plus importante.
Comme pour les centres de jour pour personnes âgées, le financement des crèches est lui aussi assumé à titre privé par les familles. Environ 90 % des crèches sont privées, sous forme d’associations, de SARL, de fondations ou de crèches d’entreprises, et elles sont financées en moyenne aux deux tiers par les contributions des parents. On voit toutefois des évolutions politiques se dessiner dans le domaine de l’accueil des enfants. Ainsi, le 1ermars 2023, le Conseil national a adopté une intervention qui prévoit de soutenir l’accueil des enfants (ce qui inclut principalement les crèches) à hauteur de 710 millions de francs. Le coût de la garde d’enfants en crèche devrait donc bientôt baisser pour les parents. Ce soutien devrait également permettre de créer davantage de places en crèches. On voit donc qu’une transformation politique est en cours dans ce domaine. Certains cantons s’apprêtent également à modifier le financement des structures d’accueil pour personnes âgées. En nous appuyant sur les cas des deux cantons de Soleure et de Bâle-Ville, qui ont déjà légiféré sur le financement, et de la municipalité de Zurich, qui règle désormais le financement des structures d’accueil de jour pour personnes âgées au niveau communal, nous vous indiquons ci-dessous de premières approches cantonales et communales réalisables.
Des modèles de solutions prometteurs – financement au niveau communal et cantonal
En 2018, le canton de Soleure a promulgué une loi sur le financement des centres de jour pour personnes âgées: les seniors reçoivent un soutien financier de la part de leur commune s’ils se rendent dans un centre de jour. À l’époque, cette nouvelle loi a suscité de grands espoirs: on pensait que la subvention allait permettre d’augmenter le nombre de centres d’accueil de jour et le nombre de bénéficiaires potentiels. Pourtant, cette croissance n’a pas eu lieu. À la mi-2019, le canton de Soleure comptait neuf centres, offrant au total environ 70 places, soit le même nombre qu’en 2015. Comment expliquer une telle stagnation? Les communes aident les seniors à hauteur de 10 à 30 francs. Or le coût d’un séjour en centre de jour dans le canton de Soleure est de 125 francs au maximum. D’une part, pour les centres de jour, cela ne permet pas de couvrir les frais, et d’autre part, nombre de seniors ne peuvent pas se payer le séjour, même avec la contribution des communes. Malgré les subventions des communes, le financement des centres de jour reste donc un obstacle majeur car les seniors ou leurs familles ne peuvent pas compléter le financement. L’effet escompté de la loi, à savoir un développement des centres de jour pour personnes âgées en alternative aux maisons de retraite, n’a pour l’instant pas eu lieu.
La ville de Zurich a elle aussi adopté une proposition législative concernant le financement des centres de jour. Dans le cadre de la «Stratégie municipale 2034 pour les personnes âgées», la ville de Zurich a adopté une mesure consistant à cofinancer les séjours en centres de jour pour les personnes aux moyens financiers limités. Ainsi, si des personnes sans revenus complémentaires (par ex. prestations complémentaires de l’AVS) n’ont pas les moyens de séjourner en centre de jour, elles reçoivent un soutien financier jusqu’à hauteur de 230 francs par jour. Ce faisant, la ville de Zurich prend un engagement financier important pour faire face au nombre croissant de personnes âgées dépendantes. Le financement des centres de jour n’étant pas réglementé dans le canton de Zurich, il est désormais réglé par la loi au niveau communal de la ville de Zurich. La ville fournit ainsi une contribution majeure, à l’échelon communal, pour apporter une réponse adaptée au vieillissement démographique. De plus, au niveau communal, la ville de Zurich participe également aux frais de garde des enfants, en accordant des subventions pour les enfants résidant dans la ville de Zurich.
Bâle-Ville est un exemple de réussite en matière de financement cantonal des centres de jour pour personnes âgées. En 2011, Bâle-Ville a légiféré sur le financement des centres de jour. La loi sur la santé stipule que le canton subventionne les centres de jour pour les personnes résidant à Bâle-Ville. Les conditions pour séjourner dans un centre de jour sont les suivantes: être domicilié à Bâle-Ville et fournir un certificat médical attestant du besoin. Si ces conditions sont remplies, le client paie encore entre 45 et 59 francs pour son séjour quotidien, et le canton prend en charge les frais restants, qui se situent entre 100 et 130 francs. Ainsi, le canton apporte une contribution importante pour aider la prise en charge des personnes âgées, et abaisse le seuil d’accès aux centres de jour pour personnes âgées.
Bien que le financement des centres de jour pour personnes âgées à Bâle-Ville soit déjà réglé par la loi depuis 2011, il n’y a pas encore de centres de jour intergénérationnels. On voit donc que la question du financement des centres de jour pour personnes âgées ne peut pas être le seul obstacle empêchant le modèle de centres de jour intergénérationnels de se développer en Suisse.
Les lois de financement présentées ici se réfèrent toutes explicitement aux centres de jour pour personnes âgées. La question qui se pose alors est de savoir comment est régi le financement particulier des centres de jour intergénérationnels. Le problème de l’association Tandem était qu’en tant que centre de jour intergénérationnel, elle ne pouvait pas obtenir d’autorisation d’exploitation pour la prise en charge de personnes âgées car, dans le canton de Zurich, cette autorisation ne pouvait être accordée qu’aux institutions de soins réservées aux personnes âgées; les usagers du centre de jour devaient donc financer eux-mêmes entièrement leur séjour. Comme les lois mentionnées ci-dessus ne concernent que les centres de jour pour personnes âgées, le financement des centres de jour partagés n’est pour l’instant pas réglementé de manière implicite (et encore moins explicite). Il est donc nécessaire de mettre en place une réglementation légale claire sur le financement des centres de jour intergénérationnels.
Prise en charge intergénérationnelle
Depuis 2017, le programme Intergeneration s’intéresse de plus près au développement de projets intergénérationnels dans les institutions de prise en charge. Informez-vous sur ce qui représente un domaine prioritaire pour nous, et découvrez des projets variés et d’autres articles passionnants dans notre rubrique «Thèmes».
Perspectives et actions nécessaires
À l’évidence, les centres de jour pour personnes âgées doivent surmonter des obstacles majeurs, notamment en matière de financement dans de nombreux cantons. Pour améliorer durablement les conditions générales de financement de ces centres, il faudrait que les politiques s’emparent davantage de cette question. L’ancrage au niveau législatif permet de subventionner et de développer de manière pérenne les centres de jour. Il faut désormais mener un travail de sensibilisation et de persuasion politique dans tous les cantons afin de pouvoir garantir durablement le financement du modèle particulier des centres de jour intergénérationnels.
Il faut toutefois remarquer que, même lorsque l’on parvient avec succès à financer les centres de jour pour personnes âgées (comme par exemple dans le canton de Bâle-Ville), cela ne favorise pas nécessairement la création de centres de jour intergénérationnels. Le travail de lobbying ne doit donc pas s’arrêter aux centres de jour pour personnes âgées; il doit aussi cibler un modèle distinct, celui de la fusion des crèches et des centres de jour pour personnes âgées. Pour ce faire, ces centres de jour partagés doivent faire l’objet d’une sensibilisation spécifique. Il faut que la classe politique comme la population générale prennent davantage conscience de l’importance de ces centres de jour intergénérationnels, à la fois pour pouvoir promouvoir cette nouvelle offre et pour pouvoir l’utiliser.
Il est donc indispensable de souligner plus clairement les avantages des centres de jour intergénérationnels: ils apportent une réponse constructive à l’évolution démographique, ils renforcent la cohésion et le dialogue entre les générations, ils sont clairement bénéfiques pour les tout-petits comme pour les personnes âgées, et ils créent des relations intergénérationnelles durables. Nous nous engageons pour faire naître un paysage florissant de structures de jour partagées en Suisse. Voulez-vous vous joindre à nous?
Si vous êtes intéressé(e) par une initiative de structures de jour partagées, si vous êtes vous-même déjà actif(ve) ou si vous souhaitez le devenir, contactez Intergeneration.
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