Jeunesse sans espoir
Une contribution de Anne-Sophie Keller
Politique intergénérationnelle et dialogue intergénérationnel
10. novembre 2022
Diverses études révèlent que les jeunes se sentent impuissants et n’ont plus confiance dans la démocratie. Quelles en sont les conséquences pour la société et les relations intergénérationnelles?
La jeunesse est inquiète
«L’archétype du jeune extravagant et impulsif semble être d’un autre temps. […] Être jeune et plein d’espoir n’est plus une évidence», a écrit Finn Schlichenmaier, 24 ans, dans la revue «Das Magazin». Les gens de son âge seraient en effet confrontés à des problèmes plus épineux que ceux des générations précédentes et l’avenir pèserait trop lourd sur leurs épaules.
Les jeunes d’aujourd’hui ont perdu confiance. C’est ce que révèlent diverses études représentatives, notamment le baromètre des générations 2021 établi par la Maison des générations de Berne en collaboration avec l’institut de recherche Sotomo: 42% des 18-24 ans ont indiqué ne pas avoir foi en l’avenir. «La promesse générationnelle selon laquelle chaque nouvelle génération trouvera de meilleures conditions de vie que les précédentes semble s’être éteinte», peut-on lire dans le rapport. Les principales raisons évoquées sont l’état de la nature, la pression de la performance et les rapports sociaux.
Les préoccupations des jeunes ont également été analysées dans le cadre du Baromètre de la jeunesse 2022 du Credit Suisse. Pour cette étude, un millier de jeunes de 16 à 25 ans ont été interrogés aux États-Unis, au Brésil, à Singapour et en Suisse. Dans notre pays, les jeunes se soucient en premier lieu de l’avenir de la prévoyance vieillesse. 44% des personnes interrogées la considèrent comme l’un des cinq plus grands problèmes en Suisse. Le réchauffement climatique arrive en deuxième position; en raison des événements actuels, les préoccupations concernant le prix de l’essence et du pétrole ainsi que la sécurité de l’approvisionnement sont également fortes. Par ailleurs, près d’un tiers des sondés estiment que la démocratie suisse ne se porte pas bien.
Une étude représentative sur la jeunesse menée par la fondation Vodafone dresse un tableau similaire en Allemagne, où 86% des jeunes de 14 à 24 ans s’inquiètent de leur avenir. Alors que la majorité des jeunes (66%) perçoivent leur génération comme celle qui veut faire changer les choses sur le plan politique, moins d’un tiers (29%) d’entre eux pensent pouvoir exercer une influence sur la politique. Les trois quarts (75%) considèrent que la démocratie allemande est trop pesante pour résoudre les défis actuels et futurs. Seuls 8% espèrent une vie meilleure pour leurs enfants. Chez notre voisin du nord également, la promesse générationnelle semble s’effriter.
Le sociologue Sandro Cattacin (59 ans) observe cette tendance avec beaucoup d’inquiétude. Il est professeur de sociologie à l’Université de Genève et l’un des chercheurs les plus connus de Suisse dans le domaine de la jeunesse. «Déjà avant le Covid-19, nous avions observé dans l’enquête fédérale auprès de la jeunesse (YASS) que les tendances dépressives étaient en hausse», explique-t-il dans l’interview.
Les jeunes ont un profond désir de changement
Les crises mondiales se multiplient et, en même temps, les certitudes fondamentales se délitent, surtout parmi les adolescents. Alors que la génération Y (natifs des années 1980 à 2000) a encore grandi dans un climat de relative sécurité économique, sociale et physique, les premières années de vie de la génération Z (à partir de 1995) ont été marquées par des incertitudes – jusqu’à une pandémie et une nouvelle guerre d’agression en Europe. «Les personnes de 30 ans et plus jouissent d’une certaine sécurité privée – par exemple sous la forme d’un revenu fixe, de la famille qu’ils ont fondée, d’une formation achevée ou de relations de couple stables. On commence à travailler pour les autres et à s’occuper des autres», explique Sandro Cattacin. La génération Z ne connaît de manière générale pas encore cette stabilité structurelle, ce qui renforce le malaise.
On observe un profond désir de changement, comme en témoigne l’essor des mouvements de protestation mondiaux, par exemple dans le domaine de l’égalité des sexes (#metoo), des questions environnementales (Fridays For Future) ou de la justice sociale (Black Lives Matter). Les jeunes de 16 à 25 ans sont généralement considérés comme une «génération repolitisée», constate le Baromètre de la jeunesse.
«Dans les moments ténébreux, on a l’impression d’une disproportion presque absurde entre le sentiment d’urgence et la volonté d’agir. Le désespoir peut devenir si accablant qu’il faut impérativement faire quelque chose pour le supporter», écrit également Finn Schlichenmaier, dans la revue «Das Magazin».
Mais il est souvent difficile de faire bouger les choses sur le plan politique: alors qu’en Allemagne, la coalition formée par le SPD, les Verts et le FDP s’est explicitement prononcée en faveur du droit de vote à 16 ans, nous n’en sommes pas encore là en Suisse. Les personnes interrogées proches du PS ou des Verts sont certes majoritairement en faveur de cette adaptation, mais les bases UDC et PRD ne sont respectivement que 8% et 18% à y être favorables. En mai dernier, le projet a même été rejeté à Berne et à Zurich, deux villes progressistes, par respectivement 67 et 65% des voix.
Comment continuer?
«La politique doit œuvrer en faveur d’une société plus ouverte et faire en sorte que l’on s’y sente mieux», résume Sandro Cattacin. Elle doit notamment prendre des mesures à bas seuil pour rendre les villes plus accueillantes pour les cyclistes, proposer des offres culturelles visant à encourager les échanges sociaux et investir dans la santé, en particulier en améliorant la prévention du suicide.
Sandro Cattacin est fermement convaincu que les jeunes changeront le visage de la démocratie: «Plus la prise de décisions sera décentralisée, mieux on comprendra ce qu’est la démocratie. Les conseils d’élèves ou les organisations estudiantines doivent être intégrés dans le processus.» Il serait judicieux de créer des espaces de liberté permettant aux jeunes d’apprendre à s’impliquer et à prendre des responsabilités.
«Dans dix ans, un plus grand nombre de politiciens devraient se mobiliser contre les injustices, par exemple dans les domaines du handicap, du genre, de la migration ou de l’origine.» Sandro Cattacin estime qu’il n’y a pas de conflit de générations: «Les jeunes ne sont pas systématiquement contre la génération des baby-boomers. Je considère les tensions entre les générations comme normales, saines et même constructives.» De nombreux parents mangent par exemple moins de viande parce que leurs enfants leur en font la remarque. Le rapport éducatif s’inverse en partie.
Le poids pèse lourd sur les épaules des jeunes, qui sont souvent déjà mieux informés sur certains sujets que certains décideurs. La volonté de changer les choses au niveau politique semble plus forte que jamais. Finn Schlichenmaier résume: «Nous sommes en train de prendre les rênes en main.»
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