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La Suisse: un peuple uni de retraité-e-s

Les retraité-e-s sont sur-représenté-e-s aux urnes en Suisse. Que signifie pour une société le fait que les aîné-e-s décident de l’avenir de la population entière? Comment mieux impliquer les jeunes? La politologue Cloé Jans réclame plus de solidarité et davantage de modèles jeunes.

Senior With Placard And Poster On Global Strike For Climate Change.

La Suisse vieillit et l’âge moyen des votant-e-s aussi. Dans le même temps, seul un tiers des jeunes se rend aux urnes. Plus qu’à une démocratie, notre pays ressemblera donc bientôt à une gérontocratie – un règne de vieux. Que signifie le fait que les jeunes ne se sentent plus représenté-e-s en politique et soient mis en minorité par les seniors? Des idées comme le vote à 16 ans constituent-elles la solution? La politologue Cloé Jans s’exprime.

Cloé Jans, la jeunesse est-elle vraiment aussi fâchée avec la politique qu’on le dit généralement?

C’est malheureusement le cas de la politique institutionnalisée: le votant moyen – j’utilise volontairement le masculin – a 58 ans. Mais il y a aussi la politique moins institutionnalisée; je pense aux manifestations, où les jeunes sont très engagé-e-s. En ce qui concerne la crise climatique ou les droits des personnes queer, les jeunes ont poussé en avant la politique établie ces dernières années, et ils et elles ont mis en évidence des thèmes importants. Ce type de participation politique nécessite toutefois beaucoup de ressources et des conditions appropriées.

 

Depuis toujours, les jeunes ont été plus réticent-e-s à se rendre aux urnes.

C’est juste: leur taux de participation se situe depuis longtemps autour des 30 %. Mais cela dépend énormément des thèmes. Lorsque les jeunes sont concerné-e-s, ils et elles se rendent plus souvent aux urnes, comme cela a été le cas du mariage pour tous. Nous avons interrogé des élèves et étudiant-e-s âgé-e-s de 15 à 20 ans pour le Moniteur politique easyvote. Parmi ces jeunes, beaucoup pensent que la politique n’a aucun lien avec la vie quotidienne et que les vieux décident de toute façon de tout. Pour 30 %, c’est là une raison suffisante pour ne pas aller voter. Il n’en reste pas moins que 70 % des personnes interrogées estiment que la participation politique permet d’exercer une influence sur l’avenir.

 

Pourquoi n’y a-t-il pas plus de projets politiques qui s’adressent aux jeunes?

Il est coûteux et complexe de mener une politique pour l’avenir. L’opportunisme politique vise à obtenir des succès à court terme, en suivant les intérêts actuels des votant-e-s. C’est plus efficace. Concrètement: Tant que la majorité des votant-e-s conduit encore une voiture, le prix des combustibles fossiles ne sera guère revu à la hausse.

 

Est-il juste que les personnes âgées décident d’un avenir qui ne les concernera pourtant plus à long terme?

Juste ou pas, ce débat est inutile. On pourrait évoquer le fait que les seniors ont une plus grande expérience de la vie ou un horizon plus large pour prendre les bonnes décisions. Serait-il juste de ne laisser voter que les parents sur le congé parental? Non, car tout le monde devra payer pour un congé de ce type. Au fond, nous sommes toujours toutes et tous concerné-e-s. C’est pourquoi il est si important de prendre des décisions bienveillantes et solidaires même lorsqu’à première vue, certains sujets semblent ne pas nous concerner. On ne peut pas non plus toujours anticiper ce qui nous concernera un jour. Si demain, on a un accident, on aura tout intérêt à recevoir une aide suffisante de l’assurance invalidité. Rien que pour cette raison, cela vaut la peine d’être solidaire.

Notre manière de voter est-elle de plus en plus égoïste?

Dans le Baromètre des préoccupations 2022 du Credit Suisse, un tiers des personnes interrogées ont affirmé qu’un recul de la solidarité était problématique pour notre identité. Mais à des questions plus concrètes, comme par exemple celle de savoir si les précautions à prendre envers les personnes âgées ont constitué un problème durant la pandémie, les réactions ont été moins préoccupantes. En fait, il s’agit souvent d’histoires montées en épingle par les médias. Il est donc difficile de répondre à votre question. Par ailleurs, il faut faire la différence entre le discours et le comportement. La polarisation politique a pour effet, du moins au niveau de la communication, de dresser davantage les groupes les uns contre les autres. Mais il me semble difficile de dire dans quelle mesure cela se traduit dans les comportements. Il ressort par exemple des sondages que les personnes âgées se sentent très concernées par les questions du développement durable. Elles ne sont donc pas indifférentes à l’état dans lequel elles laissent le monde derrière elles. Là, ce sont plutôt les millénnials qui posent problème.

 

Donc votre génération et la mienne. Pourquoi?

Ma génération a été peu politisée. Prendre une année «off» ici et là, voyager un peu, se réaliser – tout cela se faisait naturellement. Durant notre enfance et notre prime jeunesse, le monde était relativement sûr – du moins en ce qui concerne le contexte international général et notamment l’Occident. Nous avons grandi dans l’idée que chaque génération pouvait construire sur les acquis de la génération précédente. Nous nous sommes donc surtout concentré-e-s sur nous-mêmes. L’événement politique qui m’a le plus marquée au gymnase a été les protestations en Irak. Mais même là, nous avions encore l’impression qu’il s’agissait d’un cas isolé et non d’un problème structurel. La génération qui me suit a tendance à porter un autre regard sur ces choses. Elle n’est toutefois pas non plus une masse homogène. Il y a bien sûr la grève pour le climat, un thème progressiste, mais il y a aussi des réactions conservatrices, dans les écoles professionnelles par exemple.

 

Comment impliquer davantage la jeune génération en politique?

Il faut montrer que la politique la concerne elle aussi. Jeune adulte, tu n’es pas encore lié par un contrat hypothécaire, tu as encore peu d’expérience du système de santé, et souvent, tu ne paies pas encore d’impôts. De nombreux projets politiques sont donc très éloignés de ton quotidien. A l’approche de la votation sur l’Initiative «de mise en œuvre», il y a eu une campagne avec le slogan «Ton collègue Saïd a écopé d’une amende de stationnement, maintenant il va être expulsé» – beaucoup de jeunes ont alors compris que le sujet les concernait aussi. Mais il n’est pas toujours facile de faire comprendre les conséquences de certaines décisions politiques pour une génération.

 

Que pensez-vous d’une stratégie nationale d’éducation politique?

Il y a tant de gens pour qui la politique est inaccessible – entre autres parce que sa pratique est souvent transmise au sein de la famille. L’éducation politique est donc extrêmement importante. Un peu d’instruction civique ne suffit pas. Il faut pouvoir comprendre la pertinence des décisions politiques et savoir les situer dans leur contexte. Le nombre de personnes qui considèrent l’éducation politique à l’école comme un bien est toutefois en baisse. Elle est certes thématisée dans le programme scolaire 21, mais il n’y a pas de stratégie efficace.

 

Des idées comme le Parlement des jeunes et le vote à 16 ans offrent-elles des solutions?

Pour moi, ce genre d’idées est très important. La démocratie exige que l’on y travaille sans relâche, qu’on teste de nouvelles voies, et qu’on en tire des enseignements. Mais aucune de ces solutions n’est une panacée. La recherche sur le genre nous a appris une chose: les modèles aident. Lorsque l’on voit que d’autres jeunes s’activent en politique – en tant que parlementaires ou figures de proue de certains mouvements – cela motive pour participer soi-même. Il serait donc important que non seulement l’âge du droit de vote soit abaissé, mais aussi et surtout que l’âge moyen des Parlementaires diminue.

Cloé Jans (37 ans) est politologue. Elle est directrice opérationnelle et porte-parole de gfs.bern

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