Dans quelle mesure les «communautés de soutien» sont-elles intergénérationnelles?
Une contribution de Robert Sempach
Science et recherche sur les générations , Politique intergénérationnelle et dialogue intergénérationnel , Vivre ensemble, voisinage et quartiers , Participation, intégration et inclusion
12. mai 2022
Le nouveau modèle des «communautés de soutien» est né d’un effort pour refléter et promouvoir le vivre-ensemble solidaire au sein des communautés locales. Bien souvent, le changement démographique et l’évolution des rapports entre générations sont les facteurs déclencheurs de ce type de préoccupation. Dans son article, notre invité Robert Sempach se penche sur ces liens et met en évidence les risques et les opportunités qu’ils impliquent.

Même si je ne peux pas apporter une réponse aussi claire et univoque que ce que l’on attend sans doute, il n’est en tout cas pas inutile de réfléchir à la question. Au travers de trois interrogations partielles et liées entre elles, je vais tenter d’apporter une réponse approchante.
Les communautés de soutien sont-elles forcément intergénérationnelles?
Les Caring Communities, ou communautés de soutien, se fondent sur la vision que les êtres humains prennent soin les uns des autres et se soutiennent mutuellement. Les personnes assument ensemble la responsabilité des tâches sociales, tout en respectant et en organisant la diversité, l’ouverture et la participation. Il ne s’agit pas de la vision romantique d’une société idéale ou du modèle familial conventionnel, mais du «soin» dans et pour la communauté. Au cœur du mouvement des Caring Communities se trouve le bien commun au quotidien. Cette notion fondamentale s’appuie sur le fait que dans toute société, il y a des tâches de «care» (soin) à accomplir. Peu importe au fond que ces tâches soient réalisées par des professionnels ou bien par des bénévoles et des volontaires. L’essentiel est le tissu de relations qui naît du fait de «s’occuper des autres», auquel on accorde une attention et une valorisation particulières. En nous occupant des autres, nous tissons des liens et formons une communauté. Tels sont, comme dans une ellipse, les deux points focaux des deux termes doubles «Caring Communities» ou «communautés de soutien». S’il est vrai que le soin mutuel joue aussi un rôle décisif dans la relation parent-enfant et dans les rapports intergénérationnels, ces relations ne sont pas toujours une réussite, et la compréhension mutuelle entre les générations ne parvient pas forcément à s’installer. C’est pourquoi, si les communautés de soutien sont très souvent intergénérationnelles, d’après moi, cela n’implique pas nécessairement qu’elles soient par elles-mêmes intergénérationnelles. Cela dit, dans les faits, de nombreuses communautés de soutien ont effectivement un caractère intergénérationnel. Mais on trouve aussi des communautés de soutien au sein desquelles des personnes du même âge se regroupent sur la base de causes et de soucis communs, par exemple des communautés queer ou LGBT, ou encore des jardins communautaires et des éco-villages.
Pourquoi les Caring Communities sont-elles interprétées (à tort) par une partie de la société et de la classe politique comme des groupes où «les jeunes s’occupent des vieux»?
Dans une société dominée par la performance et les rapports commerciaux, le statut des personnes âgées fait face à un double risque, d’abord parce que ces personnes sont moins performantes et ensuite parce qu’elles engendrent des coûts de soin et d’assistance. Beaucoup s’accommodent de cette perte de statut, même si l’idée de devenir un jour très âgé, et peut-être infirme, est en général immédiatement refoulée. Le mouvement des Caring Communities entend faire évoluer les mentalités. Il s’agit de montrer clairement que l’on ne peut pas attendre d’être très âgés pour «entrer dans une communauté» et exiger: «Montrez-nous de l’estime et traitez-nous comme des membres à part entière». Dès l’enfance et la jeunesse, nous devrions être en mesure de comprendre, par la réflexion et au fil de nos expériences, ce que signifie le fait d’assumer des responsabilités ou des tâches sociales au sein d’une communauté. Les Caring Communities intègrent donc toutes les phases et tous les domaines de la vie: ce ne sont justement pas des options de «soins aux personnes âgées» au rabais.
Cela dit, les Caring Communities ne tombent pas du ciel. En termes de psychologie du développement, cela signifie qu’au cours de notre vie, on ne se concentre pas uniquement sur sa propre identité (individuelle), mais que l’on développe une identité communautaire en tissant et en entretenant des réseaux de relations. Cela peut se faire au sein de diverses communautés. Quelqu’un qui n’associe son statut et sa valeur personnelle qu’à sa propre performance aura du mal, une fois devenu âgé-e, à se sentir membre à part entière de communautés. Il est plus facile de faire appel à d’autres personnes pour des soins si, au lieu de les considérer comme la compensation d’un déficit, on comprend qu’ils entrent dans un système de dons mutuels dans le cycle de la vie humaine.
Quels sont les risques et les opportunités de cette manière de considérer les Caring Communities?
Tant que l’idée de performance et d’optimisation de soi dominera notre vision de la société et de l’être humain, le mouvement des Caring Communities aura sans aucun doute du mal à s’imposer. Néanmoins, il n’est pas impossible qu’il parvienne à s’établir comme une sorte de contre-mouvement. Dans toutes les phases de la vie et dans tous les contextes de la vie en commun, nous pouvons agir de manière co-créative et partager des responsabilités, ou du moins apprendre à le faire. Partout dans l’espace social et local, dans les communes et les quartiers; partout où la coopération compte plus que la concurrence; partout où la priorité revient à la communauté plutôt qu’à l’individu – dans toutes ces situations, il y a de réelles chances de voir émerger des communautés de soutien dont les membres peuvent éprouver leur propre capacité d’action ainsi que la solidarité. C’est ce à quoi le mouvement Caring Communities souhaite nous sensibiliser, tout en nous animant à agir: si, à tous les âges de la vie, dans l’enfance, à l’adolescence et à l’âge adulte, nous vivons comme une évidence le fait de «s’occuper des autres», il nous sera plus facile, une fois parvenu-e-s à un âge avancé, mais aussi en cas de maladie ou d’accident de la vie, d’accepter le soutien des autres et de confier notre propre état de détresse à la communauté. Celui qui parvient à adopter cette vision des choses peut éventuellement accueillir le vieillissement avec joie, ou du moins ne pas redouter la fragilité du grand âge.
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